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Bron:  Crystal Infos, Automne, 1992, p.81-100
Auteur: B.Heuzé

Popol Vuh - Florian Fricke -  La force évocatrice d'un visionnaire

Préambule

Évoquant tout à la fois les civilisations précolombiennes, la vague électronique allemande des années soixante-dix, le cinéma halluciné de Werner Herzog et la spiritualité orientale, Popol Vuh est à lui seul un nom mythique, qui fait voyager dans l'espace et le temps.

Depuis vingt-trois ans, ayant compté plusieurs métamorphoses complètes créant ainsi une étonnante diversité dans sa forme musicale, le groupe suit un parcours souvent nimbé de mystère d'où se dégage pourtant une extraordinaire unité, en même temps qu'une approche synchrétique et respectueuse de nombreuses cultures au travers de l’histoire du monde et de ses écrits, bien avant le pillage indécent de la mode “world” de la fin des années quatre-vingt.

Oscillant entre l'ombre et la lumière, la recherche électronique abstraite et la pureté paisible de l'acoustique, la force inquiétante des musiques de film et une certaine forme de musicothérapie par la pratique de chants rituels et minimaux, Popol Vuh est aussi le vivant symbole d'une démarche musicale unique en son genre, à la fois pionnière et à contrecourant, exigeante et généreuse, intimement liée à une quête intérieure panthéiste, alimentée de philosophie, de voyage et d'éthique, et constamment éclairée par une pensée visionnaire.

En 1992, après cinq ans de silence, Popol Vuh sort un nouvel album intitulé For you and me, et la quasi-totalité de ses disques depuis longtemps disparus, ressort en réédition CD, parmi lesquelles il convient d'ailleurs de faire un tri et de dégager le blé de l'ivraie. Au moment où ces musiques sont donc à nouveau disponibles, et où les marchands terminent de tuer la musique New Age, en noyant l'idée originelle dans un flot de productions lénitives et bêtes, il semble intéressant et important de consacrer un long article, dans ce journal qui se veut une fenêtre ouverte sur toutes les musiques électroniques et parallèles, à ce groupe hors du commun que tout le monde connaît mais dont personne ne parle, et qui a d'ores et déjà laissé une empreinte tangible et durable sur l'histoire des musiques nouvelles.

Avant de nous lancer dans cette saga en deux épisodes, il convient de préciser que Florian Fricke n'a accordé très peu d'interviews, et que ses propos rapportés ici sont extraits de trois sources différentes: les livrets accompagnant les compilations sortis chez Bell Records, une interview donnée en septembre 1981 au journal Sounds, et une longue interview exclusive réalisée en mars 92. Je tiens à remercier particulièrement Serge Leroy et Kerstine Bachman, sans qui cette interview n'aurait pas été possible, ainsi que Pierre Lefur et Nadine Cyna pour leur aide précieuse et attentionnée

Genèse

Derrière ce nom sibyllin, se cache un personnage aux joues creuses, au nez d'aigle et au regard perçant sous une masse de cheveux blonds. Il s'agit de Florian Fricke, maître, fondateur et éminence grise de Popol Vuh.

Né en 1944 près du lac de Constance et issu d'une famille de musicien, puisque son père était chanteur d'opéra, Florian Fricke commence le piano classique à l'âge de onze ans, puis il entre dans une école supérieure de musique qu'il quitte quelques années plus tard. Comme tous les gens doués, il découvre rapidement que ce qui se passe dans une salle de classe n'est pas réellement passionnant, surtout lorsqu'il s'agit de musique. Il s'en écarte donc à dix-neuf ans, très heureux de pouvoir goûter à la liberté et d'échapper à la routine du travail imposé par l'école. Car ce qui l'intéresse déjà, c'est l'improvisation.

Il va donc exercer ses talents d'improvisateur en compagnie d'un jeune bassiste nommé Manfred Eicher, celui-là-même qui fondera plus tard un certain label perfectionniste, tout d'abord spécialisé dans ce que l'on appelle à l'époque l'open-Jazz. En vingt ans, ce label aux trois initiales fameuses, ECM, deviendra le maillon essentiel du développement d'une certaine esthétique du Jazz européen, et sera l'un des premiers à risquer l'ouverture vers les musiques nouvelles et contemporaines.

Florian Fricke:  Je connais Manfred Eicher de ma ville natale, Lindau, où nous étions amis d'enfance. On jouait ensemble au football et on s'est perdu de vue pendant plus de dix ans. Avant de créer ECM, Manfred était bassiste de Jazz. Quand on s'est revu j'avais vingt-trois ans et je commençais à travailler professionnellement dans la musique. On a joué ensemble mais rapidement on s'est rendu compte que nos personnalités étaient trop fortes pour vraiment s'accorder. Il en a été de même par la suite lorsque Manfred est devenu producteur, sinon j'aurais certainement été chez ECM.

Le résultat de cette association éphémère entre ces deux musiciens en herbe, est une musique assez proche de celle de Chick Corea avant qu'il ne se lance dans le Jazz-Rock funky. Mais le principal déclic se produit quand Florian pose pour la première fois ses mains sur un synthétiseur Moog, par l'entremise d'un techno-musicien avant l'heure, qui s'illustrera par la suite par ses collaborations avec Deep Purple, Sting et Andy Summers.

FF : Le premier européen a avoir utilisé un synthétiseur était Eberhard Schoener, violoniste et chef d'orchestre ayant tenté la rencontre entre le Rock et le Classique. Il m’a engagé en tant que joueur de clavier, et c’est la première fois que j’ai joué sur un Moog. Cela m’a complètement fasciné, mais parallèlement, j’ai souffert d'être obligé de jouer ce qu’il voulait et non pas ce que je voulais mol, car je me suis rapidement rendu compte des extraordinaires possibilités de la machine. C'était l'époque des hippies, il y avait beaucoup de musiciens à Munich et tout le monde s'est précipité sur la musique électronique et les synthétiseurs. C'est aussi la période où la société Moog a vendu ses gros synthétiseurs aux Beatles et aux Rolling Stones.

Au nom du Moog

Nous sommes au milieu des années soixante, Florian Fricke est littéralement envouté par les possibilités toutes nouvelles que peut offrir ce type d'instrument et les ouvertures musicales qu'il laisse présager. Il décide d'en acquérir un au plus vite. Mais la bestiole ne court pas les rues et est très chère. En 1969, à vingt-cinq ans, il devient l'heureux possesseur d'un énorme Moog III C modulaire (le second exemplaire en Allemagne, assure-t-il) et il utilise avant Keith Emerson.

À la fois impressionnante, intrigante et extravagante,. l'étrange machine devient le centre d'investigations sonores quasiment infinies, et d'autres musiciens viennent chez Florian pour découvrir l'oiseau rare, l’expérimenter et improviser avec lui autour des sonorités inédites qu'il enfante. L’embryon du groupe Popol Vuh est en train de naître.

FF: En fait, je n'avais pas un but précis, je faisais la musique dont j’avais envie sur le moment; il se trouve qu’il y avait des amis qui venaient, qui écoutaient et qui avaient envie de jouer avec moi. C’est la spontanéité et l’amitié qui ont fait que l’on jouait ensemble et que plus tard on a enregistré ensemble.

Le Moog nous donnait la possibilité de produire des sons que l’on avait pressentis sans les avoir jamais entnedus auparavant, et que l’on portait en nous, dans notre inconscient et nos rêves. Ces sons se sont révélés dans la musique que nous faisions. Nous ne les cherchions pas dans la machine mais en nous-mêmes, et le Moog ne faisait que nous accompagner. La musique que nous faisions était si ouverte que l’auditeur pouvait sans heurts laisser s’y développer son propre imaginaire. Elle était le prolongement de notre vie, de nos centres d’intérêt et de nos conversations entre amis. On imaginait des carrières de craie, un œuf noir qui et tacheté, les cris nocturnes d’une femme de la Grèce antique, les derviches tourneurs... On pensait aux sons d'une harpe éthiopienne ou d'une trompe de pharaon, ou encore au vent soufflant sur le jardin à épices de Salomon... Ce que l'on peut créer avec un Moog englobe toutes les latitudes de la pensée d'un être humain.

En 1969, Florian a le projet de composer un oratorio, car la voix a déjà pour lui une très grande importance. L’oratorio n’intéresse pas grand monde, mais il est un des rares possesseurs de gros synthétiseurs, et les Nouvelles sonorités sont à la mode. On lui propose donc de faire la musique d'un film pour la télévision, et peu de temps après United Artists lui demande un disque. Il se sent prêt. On est en plein dans la musique progressive ou le concept-album est roi. Affenstunde est la première galette à porter le nom Popol Vuh, et sort en 1970 tiré à deux mille exemplaires sur le petit label Liberty.

FF : Le choix de Popol Vuh pour le nom du groupe fait référence au livre sacré du même nom, qui relate les coutumes des indiens Quiché au Guatémala, appartenant aux civilisations pré-Mayas. C'est un écrit qui remonte aux temps où les espagnols et l'Église catholique ont envahi leurs terres et détruit leur culture. Il fut traduit par un prêtre missionnaire parti là-bas pour convertir les indigènes au catholicisme, et qui finalement a suivi le chemin Inverse et s’est rallié à leurs croyancies.

“Popol” signifie unification, people, réceptacle. ‘Vuh' est le nom d'une divinité, un mot magique qui exprime la fertilité venue du ciel, le soleil, la graine de feu. Actuellement les chercheurs spécialistes en écrits mayas s'entendent sur cette traduction approximative: ‘point de rencontre’. Lorsqu'on cite ce nom “Popol Vuh”, on évoque tout à la fois et de façon floue Dieu, Le Tout, 0m, La Lumière, L'Énergie...

L'heure du Singe

 À peu près intraduisible comme la plupart des titres de Popol Vuh, qui ressemblent souvent à des paraboles au sens occulte, Affenstunde veut à peu près dire "l'heure du primate". Et cela nous emmène dans une période assez obscure de l'histoire de l'humanité, celle du chaînon manquant. Parfaite illustration de cette énigmatique gestation, la musique est complètement expérimentale et traduit tout à fait les préoccupations de Florian Fricke en 1970, captivé par son énorme machine.

Le disque s'ouvre par la chute d'un rocher dans les eaux calmes d'un lac, plongeon symbolique vers un autre monde d'emblée étrange, où le son et la lumière se meuvent selon des lois nouvelles qui restent à découvrir. Des chapelets de notes échappées du séquenceur tournent en boucle au milieu de percussions tribales et de buées électroniques réverbérées. Dans le crépitement d'un feu, une sanza africaine se mêle aux roulements de darbouka au milieu des bouillonnements du Moog, survolés par des voix Irréelles qui semblent planer comme des esprits.

Entourés par Holger Trülzsch aux percussions, Florlan Fricke et Frank Fiedler explorent leur gros synthétiseur modulaire, comme on fouille dans le temps, décryptant la grande énigme de l'espèce humaine peinte sur les parois des cavernes.

FF: Il est vrai que ce titre n'est pas simple à comprendre. Ce que je voulais par là, c'était susciter un questionnement voire une réflexion, et intriguer l'imagination de l'auditeur. Je voulais toucher le fond de l'être. Affenstunde signifiait aussi mon approche du sujet de l'évolution humaine, et en particulier le stade de l'homo erectus, au moment où l'homme se lève. Pour moi le synthétiseur était comme le primate, une entité simple à laquelle il manquait la conscience, et mon but était de lui donner une nuance humaine... Humaniser l'artificiel en quelque sorte, en lui donnant un cœur.

Aussi insolite que son titre, le recto de la pochette trempe dans les bleus nuit et montre une porte arrondie, comme celle des maisons andalouses, ornée d'une grille en fer forgé, d'où filtre une lumière orange. Le verso donne l'impression d'avoir poussée la susdite porte et de se retrouver à l'intérieur de la pièce, en pleine session d'enregistrement.

Face aux quatre caissons du Moog déployé sur une table en bois, Florian Fricke improvise avec ses amis au milieu d'une quantité d’instrument à cordes et de percussions posés sur des tapis et des peaux de moutons…tous les symboles d’une époque rassemblés sur une photo !

La pochette de l’édition originale s’ouvre sur un étonnant cliché pris à la nuit tombante, au travers duquel le regard s’engloutit dans un ciel étiré de nuages oranges et bruns, qui se reflète à l’identique sur la surface d’un étang bordé de chaque côté par l’inquiétante masse sombre de la forêt. Dans un des coins, on peut lire l’ésotérique poème illustrant le titre de ai première face du disque :

“Je fabrique un miroir

Je le casse

Je le sculpte

Je le lime

Je le ponce avec du sable

Je le finis avec du papier de verre

 Je l'enduis d'excrément de

Chauve-souris

Je le prépare

Je l'égalise avec un fin roseau

Je le polis jusqu'à ce qu'il brille

Je m'aperçois dans le miroir

J'apparais dans mon miroir

Je m'admire moi-même, me regardant du miroir”.

(tiré du codex florentins)

À la fois exergue et parabole, la présence de ce texte sur la pochette de ce premier disque de Popol Vuh n'est ni un hasard, ni une fantaisie. Il laisse cependant une multitude d'interprétations possibles qui suscite d'ailleurs plus d'interrogations que d'affirmations.

Le miroir en question ne serait-il pas le Moog lui-même, qui doit avant toute chose être préparé et patché avec attention pour délivrer ensuite une image sonre ? Le Moog face auquel le synthésiste passe des heures de recherche intense à guetter un signal de vie et une réponse satisfaisante, n’est-il pas cette interface brillante mettant en communication deux mondes (selon une allégorie chère à Cocteau), permettant d'explorer ‘infini et d'arpenter ses loges circulaires, -tout en sondant les tréfonds de sa propre conscience, puis de créer tel un nouveau-demiurge un monde sonore  à son image, la machine agissant alors comme le révélateur d’un univers à la fois intime et galactique, jusque là resté virtuel?

Dans sa complexité délivrant des milliers de forme possibles, à l'image du chaos basique, le Moog n'est-il pas le point de rupture où s'abolissent l'espace et le temps, s'encastrent microcosme et macrocosme, et se télescopent molécules organiques et poussières astrales ? Une fois savamment ordonnée et patiemment façonnée, sa structure n'est-elle pas devenue cette surface réfléchissante permettant la grande aventure nég-entropique de la création, au travers de la propre subjectivité de celui qui s'y contemple, afin de faire naître au sein du labyrinthe de ses circuits l'étincelle d'un nouveau big bang ?

Instrument platonicien par excellence, le Moog n'est-il pas ce subtil écran donnant une image indirecte d'un monde nouveau, seulement perceptible de par sa projection sur cette paroi de caverne électronique hérissée telle l'améthyste, de boutons, d'interrupteurs et de curseurs ? N'est-il pas également cette gigantesque matrice aux viscères de métal d’où partent de nombreux cordons ombilicaux, et ce placenta multiple où pulsent les oscillations électriques comme battent les flux sanguins, animant les prémices de vie future, aux travers de nombreux filtres d’un génome en mutation, qui se code en voit par octave, en cycles par seconde et en fréquence de coupure ?

Dans sa structure parcellaire, à l’image du néant atomisé, d’une pensée dissociée, ou d’une personnalité éclatée, le Moog n’est-il pas ce miroir brisé par quelque malédiction originelle, dont il incombe de rassembler les fragments épars en vue de reconstituer le puzzle universel, tel Isis ressuscitant Osiris, afin de retrouver de par cette intégrité première restaurée, la trace divine et l’éclat vital?

Chaînant un module à l'autre et connectant composants et circuits, cet ensembles de câbles n'est-il pas à la fois ce fil d'Ariane guidant Thèsée dans le dédale, et cette ligne initiatique conduisant au long des patches, l'explorateur au pays des leurres, des illusions et des effets de miroir ?

Ce miroir patiemment fabriqué de toute pièce des mains de l'homme et permettant d'y faire apparaître et se réfléchir l'image de son choix, comme seul le consentait auparavant la surface de l'étang si belle mais si capricieuse et imprévisible, n’est-il pas pour l'œil ce que le Moog est pour l’oreille permettant de modeler selon son idée et d'écouter à la demande ce que seuls les chants de la nature offraient furtivement d'entendre ?

Synthétiseur-miroir…. tout à la fois chambre noire et prisme d'onde arc-en-ciel, boîte à images, tabernacle vibrant, nouveau sanctuaire technologique, triptyque d'icônes religieuses, miroir magique où se mirent les princesses et exhortent les sorcières, cornue bouillonnante, moulin à rêves, vecteur d'un monologue réflexif, transitif et réciproque, outil de la domestication et symbole de la main mise de l'humain sur le monde, illustration de sa force créatrice et de son intelligence naissante, à l'aube de l'émergence de la conscience dans la psyché des primates devenant homme... Reflets et réflexions ne s'y conjuguent-ils pas dans une grande aurore prophétique ?

Sainthétiseur priez pour nous

Florian continue ses recherches et devient le plus éminent spécialiste du gros synthétiseur analogique et de son langage nouveau. En fait, il a déjà plusieurs longueurs d'avance sur les autres musiciens qui commencent à peine à tâter des claviers électroniques, et à en sortir leurs premiers balbutiements.

Entièrement modulaire, patchable et doté de nombreux oscillateurs, son Moog III C permet les possibilités sonores les plus étonnantes, mais sa manipulation reste très complexe et souvent entachée d'incertitude. De surcroît la machine est fragile, encombrante et peu facile à transporter, ce qui n'empêche pas Popol Vuh d'être l'un des rares groupes à l'emmener sur scène. D'ailleurs Tangerine Dream, qui expérimente également de son côté de nouvelles formes musicales, reconnaît les compétences de Fricke et lui demande de venir glisser les nébulosités de son Moog entre les sons des violoncelles et des VCS3, sur l'une des faces ('BIrth of liquld Plejades”) de son immobile et extatique double album Zeit.

FF : Au départ c'était une idée des maisons de disques de créer une sorte de super groupe de musiciens électroniques, sous un nom déjà connu, celui de Tangerine Dream. Nous connaissions mutuellement nos disques, mais ce n'était pas facile de jouer ensemble car nos musiques étaient très différentes. Eux avaient pris une direction très psychédélique en utilisant par exemple des fourchettes frappées sur les cordes d'une guitare électrique.

Leur façon de faire m'a beaucoup surpris. Au moment de l'enregistrement à Cologne, de la première face de Zeit, nous étions tous ensemble, mais je n'ai enregistré qu'avec l'organiste. Je n'ai jamais joué avec Edgar Froese par exemple. De toute façon, on a passé un très bon moment.

Mais pour Florian, ceci n'est qu'un épisode, car l'étrangeté des sons synthétiques ne représente pas une fin en soi, mais plutôt le support d'un enseignement philosophique et d'une certaine connaissance de lui-même. C'est pourquoi il continue à mêler des percussions à son synthé, parce qu'elles sont et ont toujours été les instruments propres au rituel, et à l’origine de toute musique.

D‘abord alchimiste manipulant les sons, Florian Fricke, sorcier apte à faire se manifester les esprits. C’est avec cette idée que Popol Vuh entre à nouveau en studio, pour enregister son second disque et pénétrer le Jardin des Pharaons.  L’album sort en 1972 sur le label berlinois Pilz, dans une somptueuse pochette orange, ornée d'une fleur de lotus aux dégradés multicolores. À l'intérieur, des photos montrent les musiciens autour d'un petit lac où poussent les nénuphars, à la tombée de la nuit.

La première face est la suite logique du disque précédent et se déroule paisiblement dans une atmosphère nocturne agrémentée de bruits d'eau, des grillons et de battements ethniques, au sein de laquelle le Moog prend encore une fois des consonances de voix immatérielles. La nuit s'achève sur une improvisation modale au piano Fender, rappelant un peu le "In a silent way" de Mlles Davis.

Tranchant complète. ment avec cette ambiance feutrée, la deuxième face, intitulée "Vuh", est une sorte de grand éblouissement mystique, où des nappes d'orgue d'église rehaussées de percussions turques jaillissent au milieu d'un rideau de cymbales. Dans cet ensemble inondé de lumière, Florian se lance dans de longs soli de synthé, dignes des plus beaux envols californiens. En tendant un peu l’oreille , on arrive même à discerner sa voix, lancée elle aussi dans de grands débordements lyriques au paroxysme de la jubilation.

FF: Aujourd’hui, je suis très féru de culture égyptienne ancienne, mais à l’époque de l’enregistrement du disque In den Garten Pharaohs, je la connaissais très mal. Mais cela représentait symboliquement, pour moi, l ‘image de Moïse venant chaque jour demander au pharaon la liberté pour son people. C’était aussi ma demande, celle de pouvoir choisir librement mon chemin.

De part les ambiances ainsi créés et le type de sons choisis, ces deux premiers albums de Popol Vuh montrent que Florian Fricke travaille dans une optique complètement différente de celle d’un autre pionnier et grand spécialiste du Moog: Walter (Wendy) Carlos. Collaborateur de Robert Moog depuis 1966, il crée l’évènement fin 1968 avec la sortie du disque mythique Switched on Bach, première interprétation électronique des compositions du maître allemande. Il enregistre également en 1972 la bande original du film de Stanley Kubrick Orange mécanique, autre succès médiatique, tant musical que cinématographique.

Autant Walter Carlos utilise son synthétiseur de façon rigoureuse et quasiment mathématique comme un instrument interprète offrant des sons neufs, et ceci dans une forme musicale très Classique, autant Florian Fricke a une approche complètement instinctive de la machine et l’expérimente de façon initiatique pour en tirer non seulement des sons neufs mais aussi une forme musicale tout à fait nouvelle, où la modernité technologique rejoint les rites ancestraux et l'essence des musiques primitives. En cela, il a quinze ans d'avance et il ouvre déjà la voie à des musiciens comme Peter Gabriel ou Jon Hassell.

La colère de Dieu

À la même époque, en 1972, se forge le premier maillon de la longue collaboration entre le cinéaste Werner Herzog et Florian Fricke qui réalise la musique de son film Aguirre ou la colère de Dieu. Œuvre visionnaire qui étonne des milliers de spectateurs en frappant les imaginations, le film raconte l'histoire hallucinante d'une troupe de conquistadors conduite par le bancal Klaus Kinski, remontant l'Amazone à la recherche de la ville légendaire d'Eldorado. L'expédition se termine en catastrophe après que la troupe a été décimée par les flèches des indiens, et Aguirre se retrouve seul, mortellement blessé, abandonné en pleine forêt sur un radeau qui tourne en rond au milieu du jacassement des singes, sur fond de musique de fin du monde.

FF:  Werner Herzog était à Rome pour la post-production de son film “Aguirre ou la colère de Dieu”, et il y a rencontré Ennio Morricone qui lui a proposé une musique, mais cela ne lui a pas plu. Il n'avait toujours pas trouvé la musique dont il avait besoin, lorsqu'une amie actrice avec qui il parlait de ses soucis pour son film, dans un café près du Tibre lui a dit : “Il n'y a qu'une personne qui puisse te faire la musique que tu veux, c'est Florian Fricke de Popol Vuh”. Il m'a téléphoné tout de suite. Deux jours plus tard, j'étais à Rome et j'ai regardé le film avec lui plusieurs fois, puis je suis rentré à Munich et j’ai fait la musique d'Aguirre en une journée.

À la force des images de Herzog, Fricke va associer une musique aux accents irréels et d'une texture totalement neuve, bâtie sur de grand es polyphonies chorales. Semblant surgi de nulle part, un ensemble de chœurs figés et glacés planent au-dessus de la jungle, telle la voix des anges de la fatalité scellant le destin d'Aguirre.

Ces chœurs dignes du jugement dernier fascinent et laissent perplexes quant à leur origine: humaine ou synthétique ? Sur la technique exacte utilisée et le type d'instrument employé pour créer ses sonorités, Florian Fricke ne livre que peu d 'information et reste assez secret.

FF: Ce sont de vrais chœurs d'hommes et de femmes, donc des voix humaines, qui ont été transformées. En fait c'est la première fois que l'on a fait de l'échantillonnage; à l'époque c'était complètement nouveau. Ce n'était pas un mellotron mais un instrument extraordinaire qui a été développé parallèlement et dont nous nous sommes servis, Amon Duul et moi, et qui a ensuite été oublié.

Il a été conçu par un musicien-technicien très doué, qui avait un petit studio de production. Comme quoi, il y a des bricoleurs de génie qui conçoivent des choses qui plus tard prennent une importance énorme, car c'était les premiers pas vers le sampling. Pendant qu'il était au Pérou, j'ai utilisé cet instrument, et c'est à cette occasion que j'ai créé les chœurs d'Aguirre en un après-midi Puis, je le lui ai rendu et je ne m'en suis plus jamais servi.

À ces chœurs métamorphosés par l’électronique, j ‘ai rajouté d’autres instruments comme le synthétiseur et la guitare électrique.

Pour être franc, je pense que le plus grand mérite de cette musique c’est d’avoir été la réponse alternative allemande aux musiques de film françaises, italiennes et américaines qui se faisaient à l’époque.

Nymphe chrysalide

Alors que la plupart des musiciens se mettent aux synthétiseurs, Florian en a, à ses yeux, déjà épuisé les possibilités et sur cela, il s’explique assez clairement:

FF: J’avais trouvé sur le Moog certaines voix féminines que j’ai utilisées sur le deuxième disque, après, cela ne m'intéressait plus vraiment. Je suis quelqu’un d'assez conservateur et presser des tas de boutons satisfaisait plus. Quelque fois la tension variait, et on ne pouvait pas retrouver le même son, c'était trop aléatoire et fonction des caprices de la machine. Ce n'était plus vraiment humain. C'est pourquoi je suis retourné au simple piano acoustique qui est beaucoup plus direct.

Des gens m'ont dit que j’aurais dû continuer et que j‘aurais pu gagner alors beaucoup d'argent, mais pour moi c’en était fini avec l’électronique. Je pense que j’ai tout simplement refuse que mon travail sur les synthétiseurs ne soit qu’une zone d’expérience sans limite.

D'autre part, la musique électronique a été souvent utilisée pour ouvrir les port, de ia perception et franchir des niveaux de conscience. Mais malheureusement, beaucoup de gens prenaient des drogues en même temps. Lorsque je m'en suis rendu compte, j’ai voulu trouver et présenter une alternative où il n'y aurait plus besoin de cela.

On ne peut que s'incliner devant la clairvoyance de tels propos. Florian Fricke laisse donc toute la panoplie électronique au vestiaire et une nouvelle ère s'ouvre pour Popol Vuh.

Une totale métamorphose s'opère et un renouvellement complet de l'équipe accompagne le changement d'instrument. Pour sa quête des musiques de l'âme, Florian constitue autour de son piano une véritable petite formation de chambre avec Djong Yun, chanteuse coréenne classique à la voix de soprano, Klaus Wiese, au tampura, Conny Veit aux guitares électrique et acoustique, et deux solistes de l'orchestre philharmonique de Munich: Robert Eliscu au hautbois, qui a également joué avec l'organiste Peter Michael Hamel au sein du groupe Between, et Fritz Sonnleitner au violon.

Cantique des quantiques

En quelques semaines, Florian Fricke écrit la musique et les paroles d'une véritable œuvre liturgique contemporaine, œcuménique et planante , à la gloire de la rencontre des cultes de l'Orient et de l'Occident, cristallisée jusque dans le titre du nouvel album Hosianna Mantra, qui sort en 1973.

FF: je ne fais jamais un disque pour une raison precise, mais bien évidemment Hosianna Mantra symbolise le rapprochement entre l’Orient et l’Occident. Beaucoup des amis munichois avec lesquels je travaillais sont partis en Inde pour rechercher autre chose. L’important pour moi était de trouver le noyau commun à toute religion (je reviens d'ailleurs à cela dans mon dernier disque For you and me, sur le livret duquel j’ai expliqué que la religion et la politique provoquent souvent l'hostilité et la guerre, alors que la musique permet de les éviter). Dans la méditation, l'homme peut atteindre ce centre, et lorsqu'il y arrive, c'est un pas de gagné sur l'hostilité et la guerre.

Pour moi, il est aussi important de s'inscrire dans l'esprit d'une époque, c'est-à-dire non pas de suivre une mode mais de tenir compte de l'état des choses dans son travail. Mon idée était de m'éloigner des évènements politiques et d'approcher un chemin spirituel venant de l'extérieur, de l'Orient en l'occurrence, puis de l'intégrer non pas comme une discipline restrictive mais un comme un conseil de l'âme.

Réminiscence de l'ancien projet d'oratorio, Hosianna Mantra resplendit d'un éclat séraphique et se présente comme une suite de cantiques, où la voix pure et claire de Djong Yun tient le rôle récitatif, enchâssée telle une perle dans un écrin harmonique soyeux, ou brillant seule dans le silence apaisée comme une goutte de lumière. Venant souvent faire contrepoint, le hautbois propose une seconde voix un peu nostalgique, à la fois classique et bucolique. Voltigeant tout autour et les enveloppant de caresses électriques Irisées, la guitare de Conny Veit s'étire et s'enroule dans une pluie d'écho, jouant avec elle-même, se repliant sur les cordes graves pour mieux s'épanouir à nouveau en une corolle de notes arc-en-ciel, chacune portée d'émerveillement intérieur suspendu.

Guidant l'ensemble de son piano, Florian ébauche les thèmes. assure la trame harmonique, donne le rythme et soutient les solistes, puis se laisse emporter et parcourt son clavier en tous sens dans des suites d'arpèges descendantes et ascendantes. Jouant également du cymbalum, il utilise en vagues réverbérées ses sonorités légères et frisantes, en les mariant à celles très orientales du tampura, pour porter le chant universel Om.

Détachée de l'emprise terrestre et imprégnée de candeur et de transcendance, toute la musique louée Ici semble évoluer dans l'éther, et a la limpidité d'un cristal de roche. Touché par la grâce et conjuguant recueillement et envolée lyrique, Popol Vuh produit avec ce troisième opus, son disque peut-être le plus abouti, indémodable  et intemporel, laissant déjà présager tout un pan des musiques nouvelles à venir.

FF: Le passage de la musique improvisée à la musique écrite ne m'a posé aucun problème, puisque, depuis l'âge de onze ans, je jouais du piano classique et que très tôt je m'étais mis à composer. Ce n'était pour moi ni une progression, ni une régression, mais un autre moyen de m'exprimer. En temps que compositeur, je me sentais attiré par la musique Classique, c'est pourquoi j'ai choisi des musiciens venant de l'orchestre philharmonique de Munich. L’enregistrement a duré trois semaines. Nous avons travaillé, tous ensemble, mais tout était prêt à l'avance.

Hosianna mantra est très certainement le premier disque du Nouvel Age.  J’ai fait ce disque naturellement sa prendre conscience sur le moment de ce qu'il allait représenter. La désignation de New Age s'est créée plus tard.

Plus qu'une métamorphose, Hosianna Mantra peut être considéré comme une véritable transfiguration, au travers laquelle Florian Fricke révèle son vrai visage en laissant l'électronique pour l'acoustique, et Popol Vuh passe de l'introspection à la prière et de l'abstrait au divin.

Parallèlement Florian et ressort discrètement son Moog et prête ses talents de pianiste au groupe de son acolyte Conny Veit qui enregistre deux Disques en 1972 et 1973 sous le nom Gila.

En homage aux Indiens d’Amérique du nord et à leur lute désespérée pour une vie décente, le second album a pour titre Bury my Heart at Wounded Knee. Alternant ballades instrumentales et Rock acoustique, la musique évoque tout à tour le Folk chimérique d’Incredible String Band, les arrangements paysagistes gouaches de mellotron de Moody Blues, et parfois le Pink Floyd et ses plages incantatoires sur fond de battements lancinants. La seconde face avec ses longs passages instrumentaux bâtis sur des arpèges de piano rehaussées d’échos de guitare électriques, se rapproche très sensiblement de la musique que joue Popol Vuh à la même période, de qui n’est pas un hasard.

C’est à ce moment que se produit le rapprochement entre Florian et un personnage qui joue lui aussi dans le groupe Giia, et qui peu à peu va prendre une place considérable au sein de Popol Vuh. Il s'agit de Daniel ‘Secundus’ Fichelscher, ancien batteur percussionniste du Amon Duul II à l’époque de Wolf City, et qui la suite tiendra la quasi-totalité des percussions et des guitares aux cotés de Fricke.

Le Lotus et la Rose

Peu de temps après, Popol Vuh rentre à nouveau en studio et enregistre Seligpreisung, qui suite et le pendant Hosianna Mantra. Moins distanciée par une transcendance immatérielle et extatique, la musique y est plus accessible et imprégnée d’un allant nouveau, d’une joie intérieure qui ose s’exprimer ouvertement et porte l‘ensemble au travers de percussions omniprésentes et de rythmes presque dansants. Toujours dépourvue de basse, la musique semble avancer en rebondissant au son de la grosse caisse et des timbales, emmenée par les accords du piano. Bien que divisée en cinq parties distinctes, la seconde face peut être considérée comme un tout, où s'enchainent musique de chambre écrite mettant en avant le hautbois, psalmodies recueillies et passages improvisés où prédominent guitare et percussions.

Autre différence de taille, Djong Yun étant absente, on ne retrouve pas cette douceur transfigurée perlant au travers de la voix féminine, mais une certaine gravité (dans les trois sens du terme) dans la voix principale qui est masculine et où se mêlent dévotion, ferveur et fragilité terrestre. Car c'est Florian lui-même qui chante et qui, toujours derrière son piano, semble occuper ici la place centrale, tel le récitant dirigeant l'office de son autel. Si l'on excepte quelques passages de Tantric Songs et Sei Still, wisse ich bin, Seligpreisung est d'ailleurs le seul disque où l'on entende vraiment de façon volontaire et explicite Florian Fricke chanter. Seule ombre au tableau, la brièveté de chaque face qui ne dépasse pas quinze minutes.

Comme son titre le laisse supposer, Seligpreisung (Béatification) est également d'influence biblique, puisque tous les textes sont directement tirés du passage des Béatitudes de 'l'Évangile Selon Saint Mathieu'. Quant au très beau ‘Tanz der Hassidim', Il fait bien sûr référence à l’une des traditions religieuses les plus ferventes du peuple d’Israël.

FF: Comme celle de Hosianna Mantra, la musique de Seligpreisung est d’essence chrétienne. Mais tu ne peux pas l'appeler de la musique d'église, tant que tu n'as pas compris que l'Église c'est ton propre corps et que tes oreilles sont les portes de l'Église. La musique chrétienne contient de la douleur, mais s'exprime avec un sourire. La rose est le symbole du christianisme par excellence, à l'inverse de la fleur de lotus qui symbolise l'Orient. La tige de la rose porte des épines, mais à son sommet se tient quelque chose de merveilleux : la fleur épanouie. Ceci est à l'image de la crucifixion et de la résurrection. Mourir pour renaître est la principale idée du christianisme, que tu retrouves matérialisée par exemple dans le son du hautbois, ou dans cette couronne d'épines qu'est le clavecin, mais aussi dans le son de la guitare électrique.

Entre Seligpreisung et Hosiana Mantra, il y a quand même une différence, même s'ils regardent tous les deux vers le haut et l'esprit. Alors que Hosianna Mantra est un disque résolument aérien qui s'adresse au ciel avec un total détachement par rapport au monde, Seligpreisung revient à une certaine assise terrestre.

Le disque sort sous un nouveau label intitulé Kosmische Musik, qui est en fait une subdivision de la maison Ohr, distribuée en Allemagne par Métronome, assorti d'une sobre pochette blanche sur laquelle flottent quelques nuages entourant un soleil stylisé. Au verso, des portraits aux cadres dessinés à la main présentent les musiciens Conny Veit, Klaus Wiese et Robert Eliscu, qui avait joué dans le disque précédent, ainsi que le nouveau venu, Daniel Fichelscher, crédité de la batterie, des congas et de certaines guitares électriques, autour de Florian Fricke au piano, cymbalum et chant.

Ce disque ne sera jamais facile à trouver ici car il n'y aura pas de pressage français. Contrairement aux tirages suivants, dans l'édition originale allemande la pochette s'ouvre sur la photo d'un énorme eucalyptus au tronc massif, plongeant ses puissantes racines au milieu d'un cercle de pierres blanches. La photo semble avoir été prise en Grèce. Triple symbole de la vie épanouie à l'intersection des forces telluriques et des ondes cosmiques, de la fixité te immortelle du minéral, et du rassemblement pour la célébration du rituel, on retrouvera une image allégorique similaire sept ans plus tard sur la pochette du disque Sei still, wisse ich bin, où des pèlerins habillés de blanc font cercle dans le désert autour d'un guide.

Nous sommes en 1974, mis à part quelques musiciens munichois dont nous reparlerons plus tard, la démarche de Popol Vuh n'a pas d'équivalent en Europe. Aux U.S.A., le groupe Quintessence, partie musicale émergente d'une communauté hippie californienne, semble porteur des mêmes préoccupations spirituelles et les véhicule dans le cadre d'une musique collective et prosélyte. Mariant pop music et tradition orientale, elle ne réussit cependant pas à dégager la même force évocatrice, et reste finalement assez simpliste et peu originale.

Parmi les musiques de fusion, deux formations peuvent être lointainement comparé à Popol Vuh : le Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin, tentant de repousser toujours plus loin les limites de la virtuosité illuminée, dans une tonitruance électrique d'inspiration verticale toute empreinte de dévotion (The lnner Mounting Flame (1971), Birds of Fire (1973) tous deux chez CBS), et le groupe français Magma de Christian Vander, à la recherche d'une intensité absolue au sein d'une musique résolument neuve, messianique et sauvage (Mekanik Destriktiw Kommandôh (1973) et Köhntarkosz (l974), chez Vertigo). Il faudra attendre la fin des années quatre-vingt pour retrouver une telle force mystique, avec le groupe Dead Can Dance (Beyond the Realm of a Dying Sun (1987), The Serpent’s Egg (1989), tous deux chez 4AD).

Les chasseurs de nombres

En mai 1974, quelques semaines après la sortie de Seligpreisung, Popol Vuh entre à nouveau au Bavaria Tonstudio de Munich pour enregistrer son cinquième disque, Einsjäger und Siebenjäger. Popol Vuh et la en formation restreinte pratiquement réduite à l’essentiel, c’est-à-dire au tandem Fricke-Fichelscher, auquel s’adjoignent discrètement, par endroit, la voix de Djong Yun et la flûte d’Olaf Kubler, venu de chez Amon Duul.

Uniquement instrumentale, la première face débute par une courte introduction où s’entrecroisent plusieurs cycles de guitare électrique, un peu comme un lever de rideau avant quatre ballades, dont la plus réussie est certainement le paisible “Salut du matin”(“Morgengruss”) compose par Daniel Fichelscher et tissé d’arpèges circulaires de guitare acoustique douze cordes et d’épinette.

La seconde face, qui donne son titre à l’album, est une longue suite articulée autour de plusieurs thèmes qui s’enchaînent avec fluidité. L ‘essentiel de la musique tourne autour du piano omniprésent, imprimant le rythme dans de vigoureux ostinatos. Des percussions accompagnent les temps forts et la guitare électrique tient le rôle de soliste en se dédoublant parfois. Dong Yun intervient à plusieurs reprises, d‘une voix un peu timide et voilée. Sur certains passages, on entend dans le lointain, repris par le micro du piano, Florian lui-même en train de chanter la mélodie ou son contrepoint, transporté par la foi qui l’anime, e l’est d’ailleurs dommage que ces parties vocales n ‘aient pas été places plus en avant, et qu’en général le mixage donne l ‘impression d’avoir été fait un peu vite.

Einsjäger und Siebenjäger sort en 1975 chez Kosmische Music, orné d'une superbe pochette dans les jaunes orangés, avec en son centre une estampe représentant un samouraï tirant à l'arc sur son cheval, au milieu de l'écume d'un fleuve. Cette référence au Japon médiéval n'a cependant pas grand rapport avec le propos du disque, et ce concept, très réussi d'un point de vue esthétique, relève pourtant du quiproquo et ne plaît pas du tout à Florian Fricke.

FF: Ce disque n'a rien à voir avec le Japon. C'est la maison de disque qui a choisi la pochette. Mais le titre, là encore, a une très grande importance et une signification précise. En tant que musicien, on a toujours à voir avec les chiffres, ne serait-ce que par les fréquences, les harmoniques, les positions relatives des notes les unes par rapport aux autres au sein d'un même accord, les changements d'octave, etc. J'en suis arrivé à penser qu'il y avait deux types de personnes, celles qui chassent le chiffre "Un" ("Einsjäger") et qui sont à la recherche de ce que l'on pourrait comparer au Veau d'Or de la Bible, et puis il y a les personnes qui chassent le chiffre "Sept" ("Siebenjäger") et qui sont plutôt à la recherche du feu intérieur et de l'essence de l'âme.

Avec ce disque, je n'ai peut-être pas fait quelque chose de très sage, mais plutôt quelque chose de très enflammé, mettant en avant cette contradiction entre les chasseurs de "Un" et de "Sept".

Sans correspondre à une nouvelle métamorphose, Einsjäger und Siebenjäger ébauche pourtant un nouveau virage dans la carrière du groupe. Négocié en douceur, Il montre une nouvelle orientation, que l'on retrouvera dans les trois disques suivants. À l'Image de la restriction du nombre de musiciens, et de la prédominance croissante du noyau de base, piano, guitare, percussions, la musique gagne en dynamique et en concision ce qu'elle perd en subtilité et en arrangements. Il y est de moins en moins question de silence recueilli et de notes retenues, mais plutôt de flot lyrique qui se libère et porte avec jubilation le tout sur une allure rapide.

Florian Fricke se sépare de la firme de Rolf Ulrich Kaiser et retourne chez United Artists, pour qui il enregistre en février 1975 un nouvel album intitulé Das Hohelied Salomos (l'Hymne de Salomon), qui sort rapidement dans une jolie pochette illustrée d'une peinture naïve représentant Adam et Ève au milieu du Jardin d'Éden, dans une cascade de couleurs. Mieux produit que le précédent, ce disque donne l'impression d'une œuvre beaucoup plus finie et aboutie, offrant un ensemble cohérent et un son léché.

Au côté de Fricke et de Fichelscher, on retrouve avec plaisir la voix de Djong Yun beaucoup plus présente, ainsi que deux invités apportant avec eux quelques sonorités orientales, celles des tablas tenus par Shana Kumar et celle du sitar joué par Aloïs Gromer, qui réapparaîtra beaucoup plus tard en solo sur les labels Hearts of Space et Aquamarin Verlag. Relevant plus de ce que l'on pourrait appeler les traitements sonores que du synthétiseur proprement dit, l'électronique fait également un retour discret avec la réapparition de Frank Fiedler. Comme dans le disque précédent, la totalité des textes vient des écrits du roi Salomon arrangés par Florian Fricke.

FF : Les textes du Roi Salomon que j'ai choisis sont ceux qui concernent en particulier l’époque matriarcale dans la religion juive, qui est très ancienne et qui précède l'époque patriarcale. Ce sont, à mon avis, les textes les plus riches poétiquement, mais aussi les plus profonds dans leur signification. Et puis Salomon était le fils d'un grand musicien, le Roi David, qui jouait merveilleusement de la harpe.

Le disque s'ouvre sur de majestueux accords résonnant dans le silence, rapidement rejoint par la voix de Djong Yun qui semble s'élancer dans le ciel et annoncer l'arrivée d'un grand jour... puis percussions et guitare se mettent en mouvement et rythment la lente avancée d'une procession dédiée à quelque divinité tutélaire, qui peu à peu se transforme en danse votive.

À l'image du titre de ce premier morceau "Lève-toi et tire-moi avec toi", le ton général de l'album est à la fois inspiré et volontaire, solennel et impétueux, et donne l'impression qu'après avoir dépassé les premières hésitations de Seligpreisung et maîtrisé les débordements de Einsjäger und Siebenjäger, les musiciens savent exactement où ils vont et comment y aller au mieux. Ce parcours se fait sans ne se presser ni ralentir, au fil de neuf morceaux assez courts constituant

chacun un tableau développé dans tous ses détails et mené à terme ; neuf facettes d'une même entité en mouvement, formant une partition globale et homogène, même si l'on arrive à dégager un caractère prédominant pour chaque face, la première étant plus puissante et électrique, la seconde plus sereine et orientale. On constate également la récurrence de certains thèmes de Hosianna Mantra, revisités et amplifiés dans une improvisation horizontale entremêlant voix féminine et guitare, ce qui met en avant la grande différence d'utilisation de cet instrument entre Fichelscher, au style détaché parfois enfiévré, et Conny Veit, au jeu aérien tout en courbes douces, glissando et écho. À l'instar des textes bibliques desquels ils s’inspirent directement, les titres des morceaux ont souvent des allures de paraboles ou d'aphorismes double sens, car à la fois très spirituels et initiatiques et tout à fait sensuels et terrestres d'autre part.

Dernier jour - Dernière nuit

Pour Popol Vuh Das Hohelied Salomos est certainement l'album de la maturité et de l'équilibre. Mais comme la vie ne cesse de le démontrer, le seul équilibre qui à la fois en découle et en procède, c’est-à-dire qui ne fige pas les chose, est l'équilibre instable, et rapidement Florian Fricke enregistre un autre disque pour United Artists, qui sortira l’année suivante.

Éclaire par ce titre allégorique Letzte Tage – Letzte Nachte (Derniers jours – dernière nuits), on y passe de la fraîcheur printanière des productions précédentes à la dense chaleur de l’été, comme l’indique la pochette où, dans un beau contre-jour, s’égaye un troupeau de moutons dans ses hauts pâturages, sous une lumière estivale de milieu de journée.

Plutôt décriés par certain sou considéré par d’autres comme un des plus réussis, ce disque sera de toute façon toujours difficile à trouver et est pour cette raison l‘un des moins connus. Un peu comme un chaînon oublié, il constitue une sorte de ponctuation en bout de ligne avant un nouveau virage. Donc cet album, Popol Vu pousse Presque jusqu’à l’extrême ce concept, qui est propre, de ballade électrique modale et rituelle, porteuse ou non de louanges divines. Allant jusqu’à en épuiser pratiquement la forme en la Vidant de son sens sacré, risquant la redondance et manquant de peu de tomber dans une facilité un peu mièvre, les huit morceaux sont presque tous bâtis sur le même schéma d’improvisation à partir de thèmes préexistants.

Le piano constamment double par des arpèges de guitare électrique envahissante reste souvent inaudible. Occupant tout l’espace, les percussions affirmant une pesanteur très marquée, et l’ensemble dégage une impression de trop plein et d’opacité sonore, d’où les voix ont bien du mal à se dégager. Le “Grand guerrier” qui débute la première face la réponse directe au “Petit Guerrier” qui faisait l’ouverture de Einsjäger und Siebenjäger mais la force et la lourduer en plus. Même le “Kyrie” repris de Hosianna Mantra noie rapidement dans une trame monocorde. Le son est à nouveau ramassé sur lui-même et l’on pense parfois au Pink Floyd de 1967, les délires spacio-surréalistes de Syd Barrett en moins. Cependant, avec son retour au tout électrique, ce disque, loin d'être indispensable, annonce néanmoins déjà les trépidences rougeoyantes de la musique du film Coeur de Verre.

Courrier cosmique

En ce milieu des années soixante-dix, juste avant la rupture de 1977 où l'anathème sera prononcé contre toute la scène progressive et planante, au profit du punk et de la New Wave, le public jeune semble être partagé entre une prise de conscience écologique et un retour à la nature marqué par la vague Folk d'une part, et une fascination presque déraisonnable pour l'électronique d'autre part. Celle-ci ouvre en effet une échappée vers un monde sonore futuriste et accompagne les épopées Science-Fictionesques inspirées par la récente conquête lunaire, mais est aussi un avant-goût de la technologie des années quatre-vingt dans ses applications les plus terre à terre. Cela se manifeste alors par un réel engouement pour la musique faite avec les synthétiseurs, instruments encore mystérieux et inaccessibles, avec comme mise à feu médiatique le concert de Tangerine Dream à la cathédrale de Reims en décembre 1974, et avec comme locomotive ce que l’on appelle le Rock allemand. Les gazettes musicales de l‘époque (…) consacrent régulièrement à ce phénomène des articles de fond sur un ton tantôt admirative ou incrédule, tantôt taxidermique, en citant pêle-mêle Tangerine Dream, Klaus Schulze, Ash Ra Tempel, Popol Vuh, Kraftwerk, Can, Amon Düül, etc.

Ravies de cette manne céleste et spatiale, les maisons de disques, qui avaient pour la plupart ignoré le fait à ses débuts, se jettent sur la production des petits labels (Ohr, Liberty, Vertigo, Pilz, Brain...} et s'empressent de distribuer leurs disques non sans avoir pris soin auparavant d'y coller un joli sticker flambant neuf "Cosmic Music", "Kraut Rock" ou encore "Galaxy Sound". Attitude aussi opportuniste qu'éphémère !

Popol Vuh n’échappe pas à la règle et voit sa discographie gonfler soudainement. Ses anciens disques ressortent parfois avec d'autres pochettes, dans la série "Cosmic courier" distribuée en France par Barclay, qui sous l'égide de Rolf Ulrich Kaiser regroupe les anciens catalogues Ohr et Pilz, et qui englobe de nombreuses productions électroniques allemandes ; Il en est d'ailleurs de même en Italie avec la marque PDU. Apparaissent aussi des compilations dont une dans la collection "Discover Cosmic", regroupant Hosianna Mantra et Einsjäger und Slebenjäger, sous une pochette représentant un piano émergeant d'un ruissellement d'écume et de fumée bleue.

Surgissent également, à la grande surprise de Florian Fricke, des inédits comme la célèbre musique du film Aguirre, qui servira aussi de générique aux "Nuits magnétiques" de France-Culture. Contribuant largement à faire connaître le groupe d'un plus large public, le disque se vendra à plus de dix-sept mille exemplaires rien qu'en France, et disparaîtra rapidement des bacs pour devenir un véritable collector's.

Derrière une pochette illustrée d'une jolie peinture indienne mais très avare en renseignements, la première face propose deux extraits des fameux choeurs hybrides et étirés qui ont fait la réputation de cette musique, entrecoupés de reprises de ballades acoustiques dont le "Salut du matin" agrémenté de quelques échos flûtes de pan et une version inconnue de "l'Agnus Dei”, Initialement sorti sur Seligpreisung et incluse dans le “Gutes Land” de EInsjäger und Siebenjäger. La deuxième face est un inédit intitule “Vergegenwaertigung” (Accornplissement), datant de l'époque de In den Garten Pharaoh et des expérimentation sur le Moog. Elle fait immanquablement penser à une immersion en apnée complète dans l’abstrait et l’informel.

FF: Pour moi, il n’existe pas de disque officiel d’Aguirre. Comme le film a eu beaucoup de succès, surtout en France, la maison de disques pour laquelle j'avais travaillé et qui possédait mes enregistrements a, sans mon accord, publié cette musique et a pris la liberté de la mélanger à d'autres morceaux qui n’avariant rien à voir. Je n’ai jamais donné mon autorisation, mais je n’ai rien pu faire contre. La véritable musique ce sont les deux morceaux “Aguirre I" et “Aguirre II” avec les deux chœurs.

Mais ce n’est plus un problème aujourd’hui, puisqu’il existe depuis plusieurs années maintenant une compilation des musiques que j’ai faites pour les films de Herzog, qui s’intitule Popol Vuh et Werner Herzog.

Berlin school - Munich sound

À l’instar de l’école berlinoise tout à fait reconnue à l’époque, se dégage l’idée d’une école munichoise plus floue et plus éparpillée, dont Popol Vuh et Amon Duul seraient les chefs de fil. Ces deux groups en délimitent en quelque sorte les bornes opposes : la quête du sublime au travers d'une recherche esthétique de plus en plus épurée pour le premier, et l'exploration catharcique du chaos primordial pour le second (Yeti (1970) et Tanz der Lemminge (1971) chez Liberty/United Artists). Entre ces deux pôles on peut regrouper des musiciens basés près de la capitale bavaroise et travaillant dans des sphères assez proches les unes autres, en ce qui concerne les idées directrices, même si les résultats diffèrent sensiblement dans leur forme finale d'un groupe à l'autre.

Peut-être convient-il mieux d'ailleurs de parler de Munich Sound, en pensant à un équivalent allemand du San Francisco Sound, et en notant parmi cette nébuleuse musicale un souci constant de dépaysement et d’ouverture notamment vers l'orient, avec un attrait tout particulier pour l'Inde. Ceci se matérialise souvent par l'utilisation d’instruments comme le sitar ou les tablas, ainsi que de diverses percussions traditionnelles asiatiques et des flûtes en bois.

Certains musiciens empruntent aux gammes orientales leurs harmonies apaisantes et mystérieuses, ou s'inspirent directement la forme musicale modale du raga. C'est le cas de Georg Deuter, premier explorateur des nouvelles latitudes d’une musique New Age écologique avant la lettre, accommodant synthétiseur, sitar, drones, percussions et bruits de la nature, en particulier sur son deuxième disque Aum sorti en 1972 chez Kuckuck, à l’époque où celui-ci n’était encore qu’un tout petit label.

C'est également le cas de Peter Michael Hamel, organiste venu de la musique contemporaine et très influencé par Terry. Riley, dont le double album Hamel sorti en 1972 chez Vertigo dans une pochette du plus pur style psychédélique, est une véritable pièce d'anthologie hélas introuvable. Alternant longue plage pour orgue répétitif ("Aura"), pièce pour piano préparer percuté sonnant comme un gamelan ("Baliava") et mélange spiralé et effervescent de synthétiseurs et de bruits d'eau ("Song of the dolphins"), la musique y est à la fois expérimentale, hypnotique et cérémoniale.

Membre de la Mixed Media Company où acteurs, danseurs, musiciens et auteurs cherchent de nouvelles formes de communication, Peter Michael Hamel est également le fondateur du groupe Between qui proposait une musique méditative et aventurière, déjà à la recherche de la fusion des cultures, mélangeant chœurs, percussions, hautbois, violoncelle et électronique. Les deux premiers disques, Einstieg et And the Waters Opened, sortis respectivement en 1971 et 1973 chez Wergo, sont sans doute les meilleurs, car les plus novateurs.

Participent également au Munich Sound l'éphémère Gila dont nous avons déjà parlé avec ses deux disques sortis en 1972 chez BASF et 1973 chez WEA, et le groupe Embryo, structure sporadique et polymorphe constituée d'anciens membres de la communauté Amon Duul, qui pratique un Jazz ouvert sur le Moyen-Orient allant à la rencontre des espaces électro-acoustiques, notamment sur son premier album Opal, sorti en 1970 chez Ohr. Il sera d'ailleurs pour un temps rejoint par le saxophoniste Charly Mariano, avant que celui-ci ne participe à la formation Colours d'Eberhard Weber. Enfin, n'oublions pas que c’est à Munich que réside la firme ECM, drainant, sous l'égide de Manfred Eicher, tout ce qui II y a de meilleur en Jazz européen, et favorisant les rencontres et le mélange des genres.

Loin de toute cette ébullition et en particulier de la vague synthétique qui commence à inonder l'Europe, Florian Fricke, résolument tourné vers d'autres horizons, pratique le yoga, se passionne pour les cultures extra-européennes dans leurs aspects aussi bien musical que littéraire et historique et voyage sur différents continents.

Tel le dragon endormi dans son antre, son Moog repose dans sa cave depuis plusieurs années et ne l'intéresse plus vraiment. Ce type d'instrument, dont la construction a été abandonnée au profit de synthétiseurs moins encombrants et moins compliqués, comme la série des Moog 35 et 55, reste cependant très prisé. Peu d'exemplaires ont été construits et vendus de par leur prix prohibitif, et le plus souvent à des musiciens fortunés s'offrant un jouet coûteux pour se faire plaisir, mais s'en détournant rapidement vu la complexité de l'engin, et n'y accordant ensuite aucune attention. Ayant donc souvent été mal entretenu ou endommagé, une partie de leurs modules sont fréquemment en panne.

D'autre part, les premiers modèles de Moog modulaire restent entourés d'une aura mystérieuse, aussi bien due à l'inégalable grain sonore de leurs oscillateurs et à leurs possibilités de recherche, qu'à leur look impressionnant, à mi-chemin entre le standard téléphonique et l'armoire normande. Leur acquisition constitue le couronnement de la lente et onéreuse élaboration de la panoplie électronique du synthétiste des années soixante-dix, et établit l'accession au cercle très fermé de ses heureux possesseurs. Alors que pendant longtemps il est resté avant tout un instrument de recherche confiné dans l'atmosphère feutrée des studios, certains musiciens prennent le risque de le faire voyager et de l'exhiber sur scène, au grand étonnement du public. Cela a été le cas de Keith Emerson puis de Tangerine Dream.

Plusieurs musiciens sont donc intéressés par le Moog de Florian Fricke, et celui-ci se décide en 1975 à vendre son instrument, sur l'achat duquel il est d'ailleurs toujours resté assez évasif.

FF : Je n'ai pas acheté mon premier Moog, je l'ai fait acheter et je m'en suis servi. Qui l'a finalement acheté n'a pas grande importance et cela appartient à ma vie privée. Je l'ai revendu ensuite à Klaus Schulze un bon prix. Mais je n'ai pas vendu mon Moog pour tourner le dos à la Berlin School, qui d'ailleurs s'est créé plus tard. Au départ, Tangerine Dream était très influencé par la pop music et ils ont imité la musique anglaise. Ce n'est qu'après les deux premiers disques de Popol Vuh qu'ils ont changé d'orientation et qu'ils se sont vraiment lancés dans la musique électronique.

Klaus Schulze intègre immédiatement son nouvel instrument dans son équipement et l'utilise pour l'enregistrement de son album Moondawn (1976, Isadora/RCA) Il en fait également la pièce maîtresse de son imposant matériel de scène pour sa tournée européenne en 1976, au sein duquel les quatre modules du Moog installés en ligne constituent l'énorme panneau de contrôle qui lui fait face, et qui l'a lui-même surnommé "the Musical Universe”. Relié à plusieurs autres synthétiseurs (ARP, EMS, Minimoog), le "Gros Moog” y est effectivement l'élément central, gérant une foule d’événements sonores, ce qui à l'époque où le MIDI n'existe pas et où les différentes marques de synthétiseurs pas encore de norme standardisée, relève d'une complexité connectique certaine !

Quelques mois plus tard, pour la tournée suivante, Schulze inclura son “Gros Moog” dans une structure encore plus grosse surmontée d’un séquenceur PPG, l'ensemble, ressemblant au tableau de bord d’un gigantesque vaisseau spatial, comme ce fut le cas lors du concert de l'Hippodrome de Pantin en mai 1977.

Pendant ce temps, seul à son piano, Florian Fricke rêve d’une musique de plus en plus épurée, pour chœurs et percussions. Une idée se précise peu à peu en lui: toutes les possibilités sonores d’un  synthétiseur existent en fait dans la nature, il suffit  de trouver les bons instruments acoustiques et de les mélanger correctement les uns aux autres, pour pouvoir ainsi recréer toutes ces sonorités de façon naturelle et sans artifice électronique.

(Fin de la première partie) Bruno Heuzé

 

Discographie Popol Vuh

Ayant fréquemment changé d’éditeur, Popol Vuh fait partie de ces groupes mythiques dont la discographie n’a toujours été que partiellement disponible dans les bacs des disquaires, et dont les premiers albums tirés à peu d’exemplaires ont rapidement disparu et de véritables pièces de collection.

 À l’aube des années quatre-vingt-dix, les maisons de disques ont senti le vent tourner et se sont précipitées sur les vieilles bandes pour en faire des rééditions plus ou moins licites.

Certains labels indélicats n’ont pas hésité à repiquer scandaleusement de vieux vinyles et á les éditer en CDs, sous forme de compilations fantaisistes au son étriqué, truffés de craquements et de souffle. C'est le cas de la compagnie Bell Records qui, sans en avoir même informé Florian Fricke, a sorti dans le courant de l'année 1991 trois CDs très discutables. Le premier est le plus trompeur, puisque illustré d'un portrait de Fricke en gros plan, il prétend proposer cinq inédits enregistrés entre 1975 et 1982, ce qui est faux car ces morceaux étaient sortis avec des titres différents en 1977 et constituaient l'essentiel du disque Cœur de Verre.

Le second CD reprend des morceaux tirés des deux premiers albums, sous le titre et la pochette d'Affenstunde. Le troisième mélange sans discernement des thèmes utilisés pour les musiques des films de Werner Herzog.

D'autre part, dès 1981, le label américain Celestial Harmonies rééditait avec de nouvelles pochettes, d'abord en vinyle puis plus récemment en CD, Hosianna Mantra, Tantric Song, et en 1983 une compilation maison avec des versions remixées d’Aguirre et In den Garten Pharaoh ainsi qu'une plage entièrement inédite de piano solo en lévitation.

En 1988 la maison norvégienne Cicada sortait une compilation intitulée Gesang der Gesänge (le meilleur des chants) et sous-titrée "Popol Vuh 1971 — 1974”, permettant de sur retrouver, pour la première fois sur CD, quatorze anciens morceaux depuis longtemps disparus, mais parfois étrangement amputés de leurs introductions. Dès le milieu des années soixante-dix, on note aussi la présence de morceaux de Popol Vu, pas toujours complets, bizarrement parachutés dans diverses compilations rassemblant des groupes allemands et des musiques New Age.

L'année 1992 devrait voir les pendules se remettre à l'heure avec la réédition officielle, c'est-à-dire avec l'accord de Florian Fricke et à partir des masters originaux, de toute la discographie de Popol Vu en CD sur le label français Spalax.

 

Discographie

Affenstunde (LP, 1970, Liberty/United Artists)

Affenstunde (LP, 1981, Innovative Communication)

Affenstunde (CD, 1991, Bell Records)

In den Gärten Pharaos (LP, 1972, Pilz/Metronome)

Hosiana mantra (LP, 1973, Pilz/Metronome)

Hosiana mantra (LP, 1974, Cosmic Courier/Barclay)

Hosiana mantra (LP, 1981, Celestial Harmonies)

Seligpreisung (LP, 1974, Kosmische Musik/Metronome)

Seligpreisung (CD, 1992, Spalax Music/MSI)

Einsjàger und Siebenjager (LP, 1975, Cosmic Courier/ Barclay)

Einsjager und Siebenjager (CD, 1992, Spalax Music/ MSI)

Das Hohelied Salomos (LP, 1975, United Artists)

Das Hohelied Salomos (CD, 1992, Spalax Music/MSI) Aguirre (LP, 1976, Cosmic Courier/Barclay)

Letzte Tage — letzte Nachte (LP, 1976, United Artists)

 

99

 

Yoga (LP, 1977, Cosmic Courier/PDU/EM1)

Herz aus Glas (LP, 1977, Brain/Metronome)

Coeur de verre (LP, 1977, Eu/Barclay) Coeur de verre (CD, 1992, Spalax Music/MSI)

Nosferatu (LP, 1978, Braln/ Metronome)

Nosferatu — On the way to a hItle way (LP, 1978, Egg/ Barclay)

Broder des Schattens — Sohne des Lichts (LP, 1978, Brain/Metronome)

Die Nacht der Seele — Tantric songs (LP, 1979, PDU/EMI)

 Die Nacht der Seele — Tantric songs (LP, 1983, Celestial Harmonies)

Sei still, wisse ich bin (LP, 1981, Innovative Communication)

 Sei still, wisse ich bin (CD, 1992, Spalax Music/MSI)

Fitzcaraldo (LP, 1982, Autobahn/Média 7)

 Agape — Agape/Love —Love (LP, 1983, Uniton)

 Spirit of peace (LP, 1985, Cicada)

Cobra Verde (LP, 1987, Milan) Cobra Verde (CD, 1987, Milan/BMG)

For you and me (CD, 1991, .Milan/BMG)

Die Erde und ich sind eins (Cassette, 1991, ?)

Fricke spielt Mozart (CD, 1991, Bell Records)

 

Compilations:

Discover cosmic (L P, 1975, Cosmic CourrirfBarclay)

Cosmic Kraut hits — Volume I (LP, 1976, Sunset/ UnIted ArtIsts) (Contient un titre de Popol Vuh : "ich Mache Einen Splegel" de Affenstunde

Perlenklänge (LP, 1977, Cosmic Courier/PDU/EMI)

Music from Herzog film soundtracks (LP, 1982, Autobahn)

In the gardens of Pharao/ Aguirre (LP, 1983, Celestial Harmonies)

In the gardens of Pharao/ Aguirre (CD, 1990, Celestial Harmonies)

Hosianna Mantra/In den Gärten Pharaos (CD, 1986, Galaxis)

Open your ears again — the Best of german kraut Rock (CD, 1986, Galaxis) (Contient un titre de Popol Vuh : Garten der Ge "I l'album Fitzcarraldo)

Gesang der Gesänge (ci), 1988, Cicada) fient of Popol Vuh — rn, 11Przog (CD , 1989 kv , BMG)

Hosianna Mantra/Tantric songs (CD , 1990 , Celestial Harmonies)

From across thls gray land 2 (CD, 1990, Projekt) [04 tient deux titres de Popol Vuh : "Deine Liebe ist susser ais Wein" et "In der Halle Salomos  Florian Fricke (CD, 1491 p,,. Records)

Best soundtracks from Werner Herzogfirns(CD, 1991, Bell Records) 88